Influents & influençables

La RTBF proposait hier dans « Questions à la Une » un reportage sur l’univers du marketing online. Comme le laisse penser le texte de présentation diverses techniques « nouvelles » étaient dépeintes dont le buzz marketing. On semblait s’y étonner que l’on applique les bonnes vieilles méthodes qui ont cours avec la presse magazine aux blogueurs. Petit-four, tours en voiture, serrages de pinces et avant-premières exclusives étaient présentés comme nuisibles au libre arbitre et à l’objectivité des blogueurs. Comme si être pourri-gâté comme des journalistes pros et encartés n’était pas bon pour le commun des mortels mais surtout préjudiciable à l’opinion publique.

Pour avoir eu droit aux 2 traitements (les repas à l’ambassade de Turquie pour le compte de la presse féminine sur fond d’amnésie kurde valent très bien les «party pack» de Renault pour sa 2.000.000e Kangoo à la sortie d’un hiver caniculaire…), je trouve que le devoir d’objectivité est un gentil mirliton dans lequel souffle celui qui veut faire passer sa caste pour plus probe qu’elle ne l’est.

La guerre pour l’attention risque de mettre à mal et au final de redéfinir l’éthique publicitaire ces prochaines années. Je suis mollement curieux des futurs trouvailles qui nous mèneront à ce moment là ; mais le créatif a toujours été assez fort pour abuser des libertés qui lui étaient laissées pour fâcher suffisamment son public et se voir interdire de pratiquer ses besognes comme il l’entendait. Car le sujet de la manipulation et du degré de recul nécessaire sont sans doute plus dur à traiter et à faire comprendre que la stigmatisation des blogueurs complices ou bernés. A une période où certains créatifs utilisent notre capacité voire promptitude à nous questionner et nous indigner pour faire croître leur notoriété et peut-être celle de leur client, il conviendrait sûrement mieux de rappeler que tous les messages sont potentiellement des manipulations et que vérifier ceux-ci et taire ceux qui sont commerciaux et jouent sur l’indignation à plus d’impact sur la stratégie de communication que l’on veut dénoncer que de s’en faire l’écho indigné mais complice. Dans un monde de plusieurs millions de messages quotidiens il y a sûrement des indignations plus utiles à transmettre.

12 réflexions sur « Influents & influençables »

  1. je trouvais aussi le reportage très « we are the best ». Comme si le journaliste auto qui va bronzer 15 jours à la barbade pour tester la nouvelle corsa était plus objectif que le bloggeur au volant d’une kangoo (sous la pluie) …. Un sacré paquet de bullshit dans ce reportage et deux étincelles. Les deux patrons de boites qui disent « nous croyons dans la possibilité d’une autorégulation du web par ses acteurs principaux: les gens »

  2. En parlant de la Kangoo, j’ai reçu le party pack faisant partie du Buzzkit… Je suis un vrai privilégié.

    Au programme klaxons, confetti et boule à facette multicolore ruinée par la douane qui devait se dire qu’une caisse pareille et aussi légère ce devait être plein de trucs pas légaux légaux. Au final une caisse remplie de petits morceaux de verre coupant qui m’ont ruiné un doigt. J’ai fait un tour des bureaux avec un doigt saignant au milieu de collègues ébahis, se demandant ce qui m’arrivait… il parlait eux de la boule. Faut-il y trouver à redire? Dois-je appeler la RTBF pour en témoigner? Puis-je exiger de dédommagements pour le préjudice subi ? Vais-je appeler Buzz Paradise pour rouler en Kangoo un week-end ? AAhlala la vie au 21e siècle est plus difficile que jamais il faut si souvent choisir…

  3. Une fois de plus, pour ne reprendre que cette question de la subjectivité forcée du blogueur, alors que celui-ci naïvement se croit très objectif, la journaliste rtébéenne de ce reportage n’a pas gratté très loin. Et elle ne sait sans doute pas comme fonctionne cet univers.

    Il en va pour les blogueurs comme les journalistes : une crédibilité en ligne cela se gère sur la durée. Tout ne sera pas forcément intéressant, ni pertinent ou encore bien raconté. Mais parfois oui! Et souvent sans la complaisance qu’on retrouve trop souvent chez nos bons vieux journalistes.

    C’est d’ailleurs marrant qu’ils soient si prompts à défendre les valeurs éthiques, se posant souvent comme seuls garants d’une objectivité face aux propos mensongers de l’Internet.

    Cette une discussion a déjà été faite 1.000 fois. Il faudra sans doute refaire 1.000 fois de plus.

    Ce qui était dommage dans le reportage ce fut le point de vue assez systématique du consomateur comme « victime ». Comme si tout se passait à l’insu de son plein gré dès que son attention avait été captée. Même s’il y a une dérive absurde entre l’inneficacité prouvée des méthodes de mass marketing et leur démultiplication à l’infini, derrière il y a des personnes qui choisissent de s’identifier à des histoires, des valeurs, … ou une pression sociale en consommant les produits.

    Il est toujours possible de proposer d’autres choses, d’autres méthodes d’information mais qui ne plairont pas à l’industrie de la communication (plus de budget marketing, travail sur le long-terme, incertitudes des résultats, rencontre des vraies personnes qui s’identifient aux histoires et plus des profils caricaturés, … ).

  4. Mon petit grain de sable… :mrgreen:

    Existe-t-il vraiment beaucoup de blogueurs célèbres et crédibles, dans la relation avec le marketing de l’un ou l’autre produit ? A titre personnel, je n’y crois pas du tout, je les compte à peine sur les doigts d’une main en Europe (anglo-saxonne).

    A l’instar du journaliste (semi)précaire qui espère être invité dans l’Embraer 145 pour couvrir la Francophonie à Bucarest, le « blogueur influent » se fait récupérer à l’insu de son plein gré pour être de la partie la prochaine fois. Certains l’avouent à haute et claire voix, d’autre plus hypocrites pas. Il y a une part logique de flatterie naturelle mais aussi d’auto-alimentation du circuit: win-win theory.

    Un exemple récent ? La couverture du lancement de Vista à l’Atomium. Si l’influence belge se résume à des Flandriens qui se photographient/s’extasient devant un club de Second Life et font la promo du traiteur, c’est profondément navrant. Evidemment, un journaliste qui dérange ou un blogueur qui fait trop de bruit, cela n’intéresse ni les rédactions ni les marques. On préfère davantage les gens lisses, les mous, les consensuels et les plumes aussi caustiques que l’Ebarviva Baby soap.

    Au final, c’est quoi être influent ? Faire le digg-like, le publi-reporter et causer de son chat ? A titre personnel, je plaide pour l’idée d’une blogosphère à degrés différents de maturité et de crédibilité. Alors pour conclure de manière lucide mais optimiste, je vais reprendre les mots de François: « une crédibilité en ligne cela se gère sur la durée ».

  5. PS: un journaliste crédible tout comme le blogueur respecté, c’est une personne qui se fait respecter et que l’on achète pas avec du fanta mango ou des tomates farcies, qui ne court pas après l’auto-promotion et ni ne se déclare encore moins « influent ». Si les journalistes de Ars Technica devaient se faire un sang d’encre à l’idée d’atomiser la review d’un portable prêté par Dell, ou Mehmet Koksal de s’interroger sur les sentiments de Moureaux ou Reynders à la publication d’un article, tout serait d’un triste…

  6. @Prom : Je suis assez d’accord avec ton analyse et je pense que les attentes sont plus fortes du côté des agences que dans le chef des blogueurs. Ce qui explique la multiplications des spots où le buzz s’exprime, histoire d’être en contact avec ceux qui survivront.

    @François : Peut-on imaginer une collusion journaliste/régie pour discréditer ce média et ces pratiques qui rongent les marges ? Ou c’est du conspirationisme paranoïaque de mauvais aloi ?

  7. Je ne pense pas qu’il y ait une tendance journalistes/régies pour discréditer les blogs, je parlerais plutôt de récupérations récurrentes du phénomène. Les bons marketeux ont compris qu’ils ne pourront pas briser une logique mais qu’en investissant l’appareil, ils peuvent au contraire le soumettre en partie à leur volonté.

    Les faits sont clairement établis puisque dans 90% des projets de marketing, on retrouve 99% d’habitués que l’on pourrait qualifier de « cellules neutres »: ils ont été sélectionnés avec beaucoup de précautions pour limiter au maximum le risque de dérapage et, partant, favoriser le repositionnement de marque. L’objectif n’est même pas d’obtenir un « return » proche du publi-reportage mais de donner une image sympathique de la marque: fun, ouverte, blogophile, tendance. Paradoxalement, ils créent aussi une attente sur une partie du peuple non élu qui attend son tour pour être glissé dans la short-list, créant ainsi une dynamique de contenu de moins en moins sous acide. Le système s’alimente tout seul, c’est de la sociologie publicitaire élémentaire.

    Mais là encore, peut-on parler de « blogueurs influents » ? A titre personnel, je pense justement que non. C’est plutôt le schéma de « blogueurs sous contrôle » à qui l’on attribue une sorte de surclassement bloguien à des fins mercantiles.

    Attention, je ne dis pas maintenant que le buzz est inutile ou doit être rejeté d’un revers de la main. Que du contraire, cela fait toujours très plaisir à celui qui en est le bénéficaire. Mais la notion d’influence y est assez stérile en termes structurels.

  8. Concernant la sociologie publicitaire élémentaire c’est l’idée du titre de cette note. Comme tu le notes, je paraphrase, c’est en propulsant des blogueurs complaisants sur le devant de la scène, en en faisant des influents que l’on espère s’attirer les sympathies de telle ou telle coterie. L’influent est donc avant tout un curieux influençable ou caressable dans le sens du poil.

    C’est dans la durée que ces « influents » comme les journalistes et les pilotes de ligne, seront vu comme des spécialistes, des vendus. Certains tailleront-ils la crosse de leur 6 coups pour chaque buzz qu’ils auront colporté?. Encore faudra-t-il qu’ils ne cèdent pas à twitter ou autres écrits minimaliste.

    Et toi Prométhée, y’a des marketeux qui te draguent ? Les restos japonais s’arrachent-ils tes commentaires? Au delà de la boutade je suis curieux de savoir si certains viennent te jouer des sérénades

  9. En fait, pour répondre à ta question, je dirais que je suis simplement un peu un extraterrestre du genre.

    A la base, il m’arrive assez régulièrement d’être sollicité mais cela tient davantage de journalistes que de product managers. Le fait est que j’ai comme coutume de décliner gentiment toutes les propositions qui ne respectent pas mes propres conditions, la première d’entre-elles étant tout simplement mon anonymat. C’est la raison pour laquelle il arrive souvent que je note qu’un blogueur a été interviewé par un quotidien parce que j’ai refusé l’offre de départ, tout en souriant malicieusement derrière mon écran: e.a. un interview couplé d’une photo du blogueur ? No way ! Et il est assez curieux de devoir expliquer à certains, qui ont pourtant étudié les bases du journalisme, les raisons privées et professionnelles pour lesquelles on préfère parfois rester dans l’ombre.

    Google’s not always your best friend, never mess with the jackals…

    Pour le reste, oui, comme certains, j’ai déjà reçu des cadeaux-promo relativement coûteux qui font le plaisir de Madame, mais j’ai arrêté de refiler mon adresse pour les raisons décrites supra. Par contre, si le Tagawa m’offre le vendredi soir sur la note du patron, je réfléchirais bien à deux fois avant de dire: « Kuso ! ».

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