La fragmentation de l’attention

gatlingConfronté aux tweets de l’élite des blogueurs US, j’en ai eu assez de ces petits suppositoires d’info mitraillés comme s’ils maniaient une Gatling. Gavé par l’abondance de messages dont la valeur ajoutée par rapport à leur blog reste à prouver. Ce petit coup de sang m’a donné envie de lire des choses sur la fragmentation de l’attention.

En français pour « fragmentation de l’attention » j’ai trouvé 7 occurrences. En anglais c’est autre chose, il y a pléthore. Etrange disproportion qui m’a fait réfléchir à ce que j’envisageais en associant ces termes.

C’est un phénomène que je perçois et décrirais comme suit :

Phénomène de dispersion de l’attention entre un nombre croissant de sources d’information et canaux de transmission. Volatilité dans la gestion de ses besoins informationnels ; concurrence entre différents centres d’intérêt ou sources d’information qui permettent de rester toujours en éveil, d’assouvir son hypercuriosité.

L’attention fragmentée est un phénomène qui peut être analysé au niveau de l’individu et au niveau des groupes sociaux, bien que dans le second cas en français on parle plus de « fragmentation des audiences », comme si le phénomène n’était perceptible que sous l’angle du producteur / diffuseur de contenus.

Fragmentation pas déficit

Dans mon esprit ceci n’a rien à voir avec les TDAH (trouble déficitaire de l’attention / hyperactivité) ou les distractions digitales, ces alertes de réception d’un message, d’un tweet, d’une mise à jour d’un flux qui vous détournent de vos activités.

Je parle du résultat d’une mutation des moyens et techniques d’information, d’une pléthore de réponses possibles aux stimuli de la curiosité. Ils nous font découvrir qui un blog, qui un site, qui une newsletter, un service mobile, un twiteur, un friend, une chaîne de télé qui répondent à nos besoins et par la-même ajoutent une source à notre éventail de médias.

Les joies des Danaïdes

Etendre son savoir ou combler son ignorance comme les Danaïdes leur tonneau procure du plaisir. La technologie a simplifié l’apprentissage ou pour le moins l’accès au savoir. Mais si les canaux sont multiples, ils répercutent du bruit en écho sans fin et la validité des sources se trouble.

On peut également vite succomber à la boulimie, l’offre d’info frôle la crise d’obésité, il convient donc d’avoir des affinités électives avec les sources, de réduire le bruit de se prémunir de l’overdose.

Filtrer pour surnager

Les prescripteurs de notre curiosité sont notre propre expérience et les limites de notre savoir, ainsi que nos proches ou des médiateurs que nous avons sélectionnés.

La part de découverte, d’exploration est laissée soit à Google et à notre capacité à formuler des questions, soit aux suggestions de nos contacts (emails, listes de lecture partagées, twitter, etc.). L’organisation de nos sources (bookmarks, flux rss, newsletter, etc.) induit une sélection dans l’offre et une restriction dans ce qui nous parvient. La pertinence subjective des choix des autres guide notre sélection.

Que nous soyons fan de foot, ardent défenseur des droits d’Israël, militant écolo, passionné de tricot, érotomane, nous filtrons pour trouver ce qui nous plait, uniquement ce qui nous plait afin d’éviter les distractions, les discordes, les déceptions.

Nous renforçons, consolidons notre univers mental, excluant le bruit des sujets ne nous intéressant pas ou bien des discours qui vont à l’encontre de nos convictions. Le meilleur outil de censure actuel c’est la limite de notre curiosité pour le bruit ambiant.

Le futur du débat public

Ce filtrage personnel, qui tend à l’homogénéisation de l’univers cognitif, même si c’est une mosaïque de sources qui l’étaye, donne à imaginer une société future où le discours public, la voix du pouvoir ou le message publicitaire auront du mal à se frayer un passage à traverser les différentes chambres d’écho que nous construisons.

C’est tout le propos d’Ed Shane dans Disconnected America: The Consequences of Mass Media in a Narcissistic World (2000) ou celui de Cass Sunstein dans ses livres Republic.com (2001) et Republic.com 2.0 (2007). La cyberbalkanisation de la société qu’ils décrivent, voir prophétisent vu la précocité des analyses ne se marque pas de façon globale mais certaines poches ou sujets sont diamétralement abordés en ligne en fonction du groupe social auquel on appartient.

Pensons au darwinisme, à la Palestine, au foot, trois champs où le parti pris joue un rôle fondamental dans la gestion de son attention.

Sale temps pour le reach

Certains produisent du contenu sur différents supports. Ils bloguent, microbloguent et socialisent. Ils tentent de rester sur la crête de la vague, de toucher un maximum de personnes.

Pourtant plus la technologie avance plus leur audience se morcèle et bien souvent leurs efforts, si ils ne sont pas soutenus par une rentabilité claire, se concentrent en priorité sur les nouveautés, la hype. Délaissant parfois la maîtrise pour l’expérimentation hasardeuse. Les blogueurs que j’aime ne sont pas tous de bon twitter et inversement.

Eroder son potentiel d’attention en multipliant sa diffusion est-ce la bonne approche ? Faut-il se centrer sur ce qui buzze au risque de lâcher la proie pour l’ombre ?

Pour ma part twitter ne remplacera pas mon agrégateur RSS et mon lifestream ne mérite pas la home de mon blog.

Une réflexion sur « La fragmentation de l’attention »

  1. Cette fragmentation de plus en plus grande des audiences (qui a des aspects très positifs) me fait penser à la défense de la télévision (d’avant internet) d’un sociologue dont je n’arrive plus à retrouver le nom. Pour lui elle représente un double lien social. Un lien symbolique quand je suis seul dans mon salon à regarder telle ou telle émission je sais que je ne suis pas seul à regarder,qu’il existe une multitude d’autres personnes qui regardent la même chose que moi. Lien réel aussi, car un grand nombre de personnes à la même référence la même information que moi ce qui facilite la discussion genre « hier t’as vu ça à la télé, incroyable non? ».

    Aujourd’hui dire « t’as vu ça sur Internet? », c’est plus compliqué. Bien sûr, su le web des communautés se forme autour d’intérêts particuliers, mais elles tendent à circuler en vase clos. De là à savoir si c’est bien ou mal, je n’en sais fichtre rien.

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